La réintroduction du grand tétras dans les Vosges, une opération qui divise

Dominique Lang

Par  Dominique Lang

Publié le 08/05/2024 à 10h01

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Le grand tétras déchante
© BRUNO MATHIEU / BIOSPHOTO

Selon certaines associations, le massif vosgien n'est plus un milieu favorable au grand tétras (appelé aussi coq de bruyère), qui peut peser jusqu'à 5 kg et atteindre 1,30 m d'envergure.

Cet article est paru dans le magazine Le Pèlerin - Abonnez-vous

Au moment où ce gallinacé emblématique des Vosges va être réintroduit, certains écologistes et naturalistes dénoncent une opération qui arrive à contretemps.

Cocorico ! Le 16 avril dernier, la préfète des Vosges, Valérie Michel-Moreaux, a finalement autorisé l'introduction annuelle de près de deux cents grands tétras en cinq ans dans le massif du Grand Ventron. Des oiseaux sauvages prélevés en Norvège où, à l'opposé de la France, la population se porte bien, avec plus de 200 000 individus. Depuis 2021, un comité « tétras Vosges » a été constitué, en accord avec les responsables du parc naturel régional des Ballons des Vosges pour fixer les conditions de ce plan de sauvetage. Mais la consultation publique récente, menée par les préfectures des Vosges et du Haut-Rhin, a abouti à des résultats contrastés : sur les 957 contributions récoltées, 811 expriment un avis défavorable à ce plan. Notamment du fait de son coût, plus d'un million d'euros rien que pour les deux premières années.

Un atout touristique

L'affaire ressemble pourtant à l'opération de la dernière chance. Ces cinquante dernières années, la population vosgienne de ce grand gallinacé s'est effondrée de près de 93 % à la suite des changements de son milieu. Il ne resterait ainsi plus que quelques individus en liberté. Le « plan de renforcement » validé par la préfecture paraît se justifier. Il en va, après tout, de l'image de marque de la région du Grand Est, fière de ses six parcs naturels. L'oiseau du massif vosgien symbolise son caractère naturel et sauvage. Un argument de poids pour attirer randonneurs et touristes. Mais l'exemple du lynx, autre espèce typique de la région, invite à la prudence : réintroduit dans les années 1980 dans le sud vosgien, le félin a été rapidement décimé par le braconnage. Il ne reste plus dans le massif qu'une dizaine de survivants, l'espèce s'y trouvant menacée d'extinction rapide. Va-t-on réitérer les mêmes erreurs avec le grand tétras ?

Un non-sens écologique

De fait, seules deux associations de protection de la nature - la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) et Alsace Nature - s'y disent favorables, mais en demandant une préservation renforcée des espaces naturels qui accueilleront les oiseaux norvégiens. Beaucoup d'autres associations, à l'inverse, critiquent la décision de l'État. Deux recours ont été déposés, en France et en Norvège, pour stopper l'opération en cours. « Les Vosges ne semblent plus adaptées au grand tétras », déplorent Michel Munier* et son fils, le photographe naturaliste Vincent Munier. Ils rappellent que « des opérations similaires dans le Massif central ont échoué ». L'animal a besoin de massifs forestiers denses peu fréquentés et d'un climat de type boréal. Des conditions qui ont disparu dans cette moyenne montagne aujourd'hui. « On va condamner ces oiseaux à mourir à petit feu », concluent-ils. L'affaire du grand tétras illustre notre prétention illusoire à sauver les derniers espaces vraiment sauvages du territoire français. Comme notre difficulté à assumer les transformations à l'œuvre des écosystèmes en raison du dérèglement climatique.

* L'oiseau-forêt, Éd. Kobalann, 256 p. ; 35 €.

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